Pendant longtemps, la communication solidaire s’est appuyée sur la stratégie du choc : visages d’enfants affamés, images de catastrophes, messages lourds de culpabilité.
L’argument était simple : faire peur pour faire agir.
Mais à force d’être martelé, ce registre a fini par produire l’effet inverse de celui recherché. Face à des images difficiles, le public s’est protégé. Lassé. Détourné.
À l’inverse, des campagnes qui osent le décalage, l’humour ou l’absurde parviennent à marquer durablement les esprits. Et à mobiliser.
Pourquoi ? Comment ? Et que peuvent en retenir les futurs communicants solidaires ?
Parce que l’humour crée de la disponibilité mentale

L’humour ménage une porte d’entrée émotionnelle. Lorsqu’une campagne terrifiante nous assaille, notre premier réflexe est souvent l’évitement : « Nooooon ! Je ne veux pas voir ça ».
À l’inverse, un ton léger ou ironique attire, intrigue, désarme. En France, Handicap International illustre parfaitement ce mécanisme avec son slogan devenu presque proverbial : « Si tu veux ma place, prends mon handicap. » La phrase fait sourire avant de faire réfléchir. En réalité, elle pique, mais sans agresser. Le message passe parce qu’il respecte celui qui le reçoit.
Parce que le décalage surprend un public saturé

Ensuite, le décalage rompt la monotonie d’un paysage saturé de discours dramatiques. Pendant longtemps, sensibiliser signifiait montrer des visages tristes, des musiques graves, des vérités insoutenables.
Mais quand tout le monde utilise le même registre, la différence se perd. L’audace devient alors un levier stratégique. L’inoubliable campagne de la Sécurité Routière « Sam, celui qui conduit, c’est celui qui ne boit pas » l’avait déjà bien compris à l’époque (on parle de 2005 !). Plutôt que de filmer un accident, la communication publique a inventé un personnage sympathique et presque pop culture. Sam est devenu une mascotte, un symbole amusant, facilement appropriable par les jeunes. Le message est resté, précisément parce que la forme surprenait.
On ne résiste pas à vous (re)montrer également l’affiche de la Sécurité Routière avec un Karl Lagarfeld stoïque qui met en parallèle un détail futile, la couleur d’un gilet, avec un sujet grave : le fait qu’il puisse sauver des vies. Un vrai coup de génie !

Parce que l’humour rend le public acteur, pas coupable

Autre raison de l’efficacité du ton décalé : il fait du public un partenaire, pas un coupable. Les campagnes alarmistes ont souvent traité leur audience comme un problème.
Les campagnes créatives la considèrent comme une solution. L’association Entourage, qui lutte contre l’exclusion des personnes sans domicile fixe, l’a bien compris lorsqu’elle a lancé son slogan optimiste et résolument décalé : « Et si on changeait le monde en disant bonjour ? » Plutôt que d’exhiber la détresse, elle met en scène un geste simple et valorisant. Le spectateur n’est pas accablé… il se voit, au contraire, capable d’agir !
Parce qu’on partage ce qui nous fait réagir… positivement

La circulation des messages est également un point clé. Il est difficile de partager sur les réseaux sociaux une image qui met mal à l’aise. Au contraire, un contenu drôle, subtil ou étonnant se propage bien. L’association AIDES l’a saisi depuis longtemps en adoptant un registre visuel et narratif audacieux : films ironiques, détournements culturels, mises en scène décalées autour de sujets pourtant tabous comme la sexualité ou le VIH.
Parce que les campagnes décalées respectent la dignité des bénéficiaires

Enfin, les campagnes décalées respectent davantage la dignité des bénéficiaires. Là où l’approche alarmiste a souvent enfermé les personnes accompagnées dans une image de victime silencieuse, l’approche créative leur rend un statut d’acteur.
Le Secours Catholique a, par exemple, développé des communications valorisant les talents, les échanges et les liens plutôt que la souffrance. On ne s’apitoie pas, on reconnaît. Cette posture transforme le rapport entre le public et la cause : on n’aide pas par pitié, mais par conviction partagée.
Parce que l’époque est à l’ironie, pas à la tragédie permanente

Il faut aussi tenir compte d’un changement culturel. Les générations actuelles ont grandi dans l’ironie, les mèmes, l’autodérision. Elles se méfient des discours trop graves et préfèrent des messages qui leur ressemblent. Une campagne décalée ne banalise pas les enjeux, elle les traduit dans un langage accessible à ceux qu’elle espère engager.
Et pour les étudiants en communication, ça change quoi ?

Pour vous, étudiants en communication, c’est une invitation stimulante : repenser la manière de sensibiliser. Ne pas se contenter de dénoncer, mais créer un lien. Ne pas viser la culpabilité, mais la participation.
Derrière un sourire, derrière un clin d’œil, se cache parfois une force persuasive bien plus durable qu’un choc émotionnel.
Peut-être que le futur de la solidarité ne réside pas dans l’intensité dramatique, mais dans l’intelligence créative. Et peut-être qu’être communicant aujourd’hui, c’est apprendre à faire réfléchir autrement. Avec audace, humour et respect.
Une mise en situation concrète pour nos étudiants en communication

C’est justement tout l’enjeu du Workshop SOS Villages d’Enfants qui se déroule cette semaine à l’ISEFAC.
Le challenge ? Nos étudiants en Bachelor Communication et Marketing Digital doivent concevoir une campagne solidaire pour l’association… en veillant à être les plus originaux possibles afin de se démarquer des autres acteurs du monde associatif.
Casser les codes, utiliser les ressorts de la provocation ou de l’ironie : tout est envisageable (ou presque !) pour faire de leur campagne SOS Villages d’Enfants une campagne mémorable.